Depuis quelques années, les assurances-accidents et invalidité appliquent diverses méthodes de surveillance lorsqu’elles ont des doutes sur le droit d’assurés à des prestations. Or, cette mesure est parfois dépourvue de base légale suffisante. C’est à cette conclusion qu’arrive la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) dans son arrêt
61388/10 « Vukota-Bojic c. Suisse », où la Suisse a été condamnée pour violation de l’art. 8 CEDH.

L’observation d’assurés constitue une atteinte grave à leur sphère privée.
Non seulement la Cour a retenu que les art. 43 al. 1 LPGA et 96 LAA étaient des bases légales insuffisantes pour surveiller secrètement la femme concernée en raison de « doutes sur son incapacité de travail » mais elle a aussi indiqué en détail ce que doit contenir une base légale pour qu’elle soit suffisamment prévisible et puisse justifier une atteinte d’une telle gravité aux droits de la personnalité.

Le 29 mai 2017, a pris fin le délai de consultation concernant la révision de la loi sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA). Toutefois, la réglementation proposée dans le nouvel art. 43a LPGA ne respecte pas les exigences concrètes de la CourEDH. Elle accorde en effet elle aussi une grande marge d’appréciation aux assurances pour décider à quelles conditions une observation secrète est admissible et combien de temps elle peut durer.

L’arrêt indique par exemple qu’une base légale suffisante doit définir avec précision le genre des mesures de surveillance admissibles, c’est-à-dire s’il est fait des photographies, des enregistrements sonores voire des prises de vue à l’aide de drones. L’art. 43a LPGA ne mentionne que les enregistrements visuels. L’étendue et la durée admissible des mesures de surveillance individuelles ne sont pas non plus clairement fixées. Il faudrait en plus régler dans la loi les motifs pouvant donner lieu à une observation secrète. Le projet de loi ne révèle cependant pas s’il faut un soupçon initial concret ni si ce soupçon doit se rapporter déjà à un acte punissable ou au fait de toucher des prestations injustifiées.
La CourEDH énumère une série d’autres points qui doivent impérativement être réglés par la loi ; il faut fixer avec précision sous quelle forme les enregistrements d’une surveillance secrète doivent être stockés, qui peut y avoir accès, qui peut les vérifier et les étudier, dans quelles circonstances ces enregistrements peuvent être transmis et quand et à quelles conditions il faut les détruire.
Ces questions et d’autres ne sont pas réglées dans le projet de révision (voir la réponse des JDS dans la procédure de consultation, www.djs-jds.ch)

Toutefois, les JDS ne se bornent pas à reprocher au projet de loi une mise en œuvre très incomplète de l’arrêt précité de la CourEDH, mais rejettent aussi le principe même de l’observation secrète dans le cadre du droit des assurances sociales – et dans celui du droit de l’aide sociale. D’une part, nous considérons que le fait d’assortir les assurances sociales de compétences de surveillance policière est inconciliable avec le régime étatique des compétences (art. 57 Cst) et avec le monopole du pouvoir. D’autre part, l’obtention injustifiée de prestations sociales constitue déjà une infraction pénale selon l’art. 148a CP. Sur cette base, les autorités de poursuite pénale sont de toute façon habilitées à mener de telles enquêtes – dans le respect des conditions et des principes clairement formulés du CPP, de la Cst et de la CEDH. De l’avis des JDS, d’autres mesures sont superflues.

Les JDS sont également opposés à l’introduction, à l’art. 61 LPGA, de l’obligation de s’acquitter des frais dans les procédures du droit des assurances sociales devant certaines autorités judiciaires.
Les assurances sociales obligatoires fournissent des prestations assurant le minimum vital à des personnes qui ne peuvent plus gagner un revenu toutes seules. C’est pourquoi, ces assurances sont dites « sociales ». Or, la protection juridique de ces personnes devrait aussi correspondre à ce qualificatif.

Melanie Aebli, secrétaire générale des JDS

plaidoyer 4/2017