Les JDS


L’association des « Juristes Démocrates de Suisse (JDS) » (Juristes progressistes) s’est donné pour
objectif de contribuer à la démocratisation du droit et de la société, ainsi que
de développer – ce qui inclut aussi de défendre – la protection juridique des
personnes.

De nombreux obstacles ont été dressés sur la voie que les JDS s’étaient
promis de suivre. Fort heureusement, ils ont réussi, au cours des 30 dernières
années, à contourner l’un ou l’autre de ces obstacles, à défendre victorieusement
un droit ou même à le développer. Cela dit, on retrouve dans la justice
les même problèmes que dans le reste du monde social et politique : les succès
sont rares et l’histoire se répète malheureusement trop souvent. C’est ainsi
que les JDS – et tous ceux, avec eux, qui sont concernés – se retrouvent maintenant
encore devant de lourdes tâches : il s’agit, une fois de plus, de défendre
l’accès pour tous au Tribunal fédéral. Il faut défendre certains droits
fondamentaux comme le droit à l’asile ou le droit d’être libre de toute surveillance
étatique, et empêcher que l’Etat ne délègue de plus en plus les
problèmes de politique sociale à la justice – et à la police. Le démantèlement
de la protection juridique, que l’on retrouve dans différents domaines, doit
être stoppé et les droits de la défense conquis de haute lutte protégés.
Les JDS forment une association certainement trop petite pour être d’une
immense efficacité. Leur force ne repose pas dans leur nombre, mais dans la
capacité de chacun de ses membres, à partir d’une position politique claire, à
se mettre en réseau avec d’autres organismes, à donner des impulsions
précieuses dans ce réseau de mouvements politiques et sociaux, ainsi qu’à se
mêler avec entêtement à des activités sur lesquelles d’autres ferment les
yeux : pour l’égalité, contre toute discrimination, pour le droit d’accès à la
justice, contre les durcissements dans le droit d’asile et dans l’exécution des
peines.

Et ainsi de suite.

Les membres des JDS peuvent se reposer sur une structure politique en
laquelle ils peuvent avoir confiance. Depuis 30 ans. Et aussi à l’avenir.
Catherine Weber, responsable JDS 1998 - 2011

Une pratique humaniste du droit:
trois décennies de luttes, l'histoire des JDS/AJP

L'Association des Juristes progressistes de Genève (AJP) aurait été
fondée en 1970, selon un document interne rédigé en 1987. Les mémoires
des pionniers sont quant à elles réticentes à faire un compte exact des
années. Il semble en tout cas possible d'affirmer que des juristes de
gauche se réunissaient régulièrement à Genève dès le début des années
septante.

Alexandre Berenstein et Jean Vincent en furent parmi les inspirateurs et
les premiers membres comptèrent, parmi les plus connus, Bernard Ziegler,
Christian Grobet, Bernard Bertossa, Christiane Brunner, Nils de Dardel
et Rudolf Schaller.Née des projets sociaux et politiques de la fin des
années soixante, l'AJP avait pour buts premiers «d'élaborer et de
promouvoir des réformes légales et d'organisation de la justice» et de
défendre «les droits et libertés démocratiques pour les justiciables et
les membres des organisations juridiques» (statuts de 1975). Toutes les
compétences étaient dès lors requises, et les fondateurs de l'AJP,
également soucieux de se démarquer de groupements corporatistes, ouvrent
l'association aux avocats, juristes, magistrats et étudiants. Les
statuts de 1981 soulignent encore davantage la nécessité de «rompre avec
une vision statique et conservatrice du droit et de développer des
pratiques professionnelles alternatives», de «collaborer aux mouvements
sociaux et aux organisations syndicales» et de «promouvoir des réformes
législatives qui soient dans l'intérêt des justiciables les plus
défavorisés». Ces buts demeurent semblables dans les statuts actuels.

Dans le foisonnement des activités développées par l'AJP tout au long de
son existence, vouloir en retracer brièvement l'historique en
mentionnant telle cause ou tel événement relève forcément de
l'arbitraire. Parce qu'un choix s'imposait, il a fallu opter pour des
repères ponctuels permettant d'évoquer de façon générale diverses
périodes de l'association et l'esprit qui l'animait. A cet égard, les
témoignages recueillis auprès d'anciens membres du comité se sont avérés
très précieux. Que ces personnes en soient ici remerciées.


Un tarif horaire proposé entre 80 et 120 francs

Les archives gardent peu de traces des années septante. Une partie de
l'activité militante des membres de l'AJP se confond alors facilement
avec la pratique du barreau: défense de manifestants arrêtés en vertu de
bases légales insuffisantes, de personnes poursuivies en raison de
récoltes de signatures non autorisées. La jurisprudence du Tribunal
fédéral commence, par le biais de ces affaires, à évoluer autour des
libertés constitutionnelles. En réaction contre l'image traditionnelle
de l'avocat drapé dans sa dignité, auxiliaire de la justice et plus
proche du juge que du justiciable, ainsi que contre le fonctionnement
des grandes études, l'AJP est à cette époque particulièrement active sur
les questions touchant à cette corporation. Après la publication en 1974
de la brochure «Sur la profession d'avocat», un congrès est organisé en
1979 sur «Le rôle de l'avocat progressiste»: quelle doit être la
fonction sociale de l'avocat, comment venir le plus efficacement en aide
aux groupes sociaux que l'ordre juridique lui-même défavorise, et à quel
prix? La même année, la «commission tarification» de l'AJP propose aux
avocats progressistes un tarif horaire se situant entre 80 et 120 francs
(le tarif usuel se montant alors au moins à 200 francs, voire 300 ou 400
francs). L'AJP suggère également d'adopter des forfaits pour certaines
causes (divorce d'accord, mesures protectrices de l'union conjugales),
ce qui provoque des convulsions au sein de l'Ordre des avocats. Dans la
même optique, il est question de donner des consultations juridiques
hors cabinet, par exemple dans des associations syndicales. Il s'agit
d'une variante des «boutiques de droit», dont l'idée refait
sporadiquement surface de nos jours encore, mais pour lesquelles il faut
s'assurer une motivation forte auprès d'un nombre élevé de juristes…

Toujours en 1979, un projet de contrat-type de travail pour les
avocats-stagiaires est adressé à l'autorité compétente, afin notamment
de leur assurer une rémunération et des conditions de travail
meilleures. Mais le Conseil de l'Ordre, estimant que ceux qui se
destinent à une profession «difficile, ingrate et incertaine » n'ont pas
à faire de décompte d'heures ou à bénéficier d'un congé le premier mai,
s'y oppose, et l'autorité refuse à son tour d'entrer en matière.


Loi sur l’asile, Champ-Dollon, police fédérale

Egalement dès les années septante, et régulièrement depuis lors, l'AJP
collabore avec des syndicats, des associations de défense des
consommateurs ou des organisations de protection des droits de l'homme.
Les conditions permettant l'internement non volontaire en milieu
psychiatrique font l'objet de propositions de modifications dès 1975, de
manière à mieux garantir la liberté personnelle. L'AJP rédige en 1978,
avec le Centre social protestant, une étude critique sur la future loi
fédérale sur l'asile. Elle lutte dès 1979 pour l'amélioration des
conditions de détention à la prison genevoise de Champ-Dollon, dans
laquelle l'usage fréquent du régime d'isolement et d'autres punitions
entraînent plusieurs suicides de détenus. Elle cherche encore, avec
d'autres associations, à obliger les autorités à faire la lumière sur
des cas de violences policières. De même, elle lutte dès 1978 contre la
future police fédérale de sécurité et en 1981 contre une «amélioration»
des modes d'intervention de la police cantonale, en faisant aboutir un
référendum finalement rejeté.

Parallèlement, l'AJP soutient avec véhémence quatre avocats zurichois
qui, pour avoir organisé une conférence de presse à l'occasion d'un
procès pénal, sont frappés d'interdiction professionnelle (affaire
Rambert). Cet incident évoque le problème général des droits de la
défense et la crainte que l'on ne cherche à museler l'avocat qui ose
remettre en cause le droit positif et les rouages même de l'appareil
judiciaire. Ce type de défense, dite de rupture, continuera à mettre sur
la sellette ses partisans au début des années quatre-vingt, dans le
cadre notamment du procès de «Lôzane bouge» (affaires Schaller et
Garbade en 1983-84). L'AJP, pour eux comme pour ceux qui pratiquent au
péril de leur vie dans des Etats totalitaires, manifestera constamment
un appui très vigoureux.

Mais l'on ne peut évoquer la défense de rupture et les procès de groupes
terroristes du début des années quatre-vingt, auxquels participent des
avocats progressistes, sans noter que cette période marquée par une
certaine radicalisation (même marginale) coïncide avec une transition au
sein des forces vives de l'AJP, lesquelles se défont lentement pour se
reconstruire autour d'une génération plus jeune abordant la trentaine.
C'est également à ce moment que l'AJP commence à connaître un statut
relativement officiel, régulièrement appelée à se prononcer sur des
projets de lois. Les médias répondent moins aux sollicitations de
l'association, et l'on passe progressivement de la contestation au
fonctionnement institutionnel.

Pas de justice pour les riches seulement

De très nombreuses réflexions et actions dignes d'intérêt jalonnent en
outre le passé de l'AJP durant les années quatre-vingt (constitution du
«comité du 14 juin» suite à l'adoption le 14 juin 1981 de l'article
constitutionnel sur l'égalité entre femmes et hommes; organisation du
congrès national de 1983 sur les droits des patients; débat interne sur
la liberté de parole de Jean-Marie Le Pen lors de sa participation en
1985 à une émission de la Télévision suisse romande; référendum contre
la révision de la loi fédérale d'organisation judiciaire en 1989, avec
plus de 9'400 signatures récoltées à Genève). Ces dossiers eurent
cependant l'élégance de ne pas encombrer les décennies, contrairement à
ceux évoqués précédemment, qui continuent d'occuper régulièrement l'AJP.

A ce titre, on peut citer la loi fédérale sur l'asile et ses avatars qui
obligent l'AJP à se mobiliser lors d'un référendum en 1986, à militer
contre la détention à Genève en 1987-88 d'Alphonse Maza, opposant
personnel du dictateur Mobutu, puis à être parmi les premières
organisations au niveau national à décider de courir le risque d'un
référendum contre les mesures de contrainte en 1994, et à nouveau à
passer l'été 1998 à récolter des signatures… pour un référendum. Il en
va évidemment de même concernant la police fédérale de sécurité, dont
l'histoire modèle celle de l'AJP jusqu'à la campagne de votation sur
l'initiative «Pour une Suisse sans police fouineuse» en 1998. Il en va
de même, encore, dans les dossiers relatifs aux conditions carcérales,
internements non volontaires.

Enfin, un historique de l'AJP serait ingrat envers les membres de
l'association s'il ne mentionnait pas au moins qu'ils font depuis plus
de vingt ans l'effort de répondre à de multiples procédures de
consultation sur des projets de lois fédérales et cantonales, et qu'ils
ont organisé de très nombreuses conférences et débats sur des thèmes
aussi variés que le fonctionnement des différentes juridictions du
canton ou la pratique des droits démocratiques dans le mouvement
antinucléaire.

Comme la plupart des associations nées des braises de 1968, l'AJP a
connu à ses débuts les espoirs d'un changement rapide de société. Dès
1982, les procès-verbaux des assemblées générales portent la trace d'une
désillusion qui s'exprime de temps à autres. En 1993, éreinté par quatre
années de travail solitaire, le comité convoque une assemblée
extraordinaire afin de discuter la dissolution de l'association : des
membres presque oubliés refont surface, s'opposent à cette idée.
Quelques jeunes membres se portent alors volontaires pour constituer un
nouveau comité. Il lui revient aujourd'hui, comme depuis près de trente
ans, de poursuivre un interminable labeur. Les espoirs d'une société
plus juste semblent en réalité à ce prix.

Texte édité par Olivier Bindschedler en novembre 1998 pour les 20 ans des JDS

LA DÉMOCRATISATION DU DROIT – COMMENT CONTINUER ?
Par Peter Albrecht, Bâle/Riehen (contribution anniversaire pour les 25 ans des JDS)

La fondation de l’association des « Juristes Progressistes de Suisse (JDS) » il
y a 25 ans apporta des impulsions nouvelles, mais aussi une certaine inquiétude
chez les juristes, lesquels étaient avant tout d’obédience bourgeoise. En
effet, un objectif déclaré des statuts était de réclamer des réformes en vue de
démocratiser la législation, l’administration et la justice. C’est ainsi que se
forma à l’époque un soutien à la campagne de votation contre l’instauration
d’une police fédérale de sécurité. Cette conception de la démocratie secoua
certains juristes dans leurs préjugés (démocratiques ?).

C’est ainsi qu’une revue juridique renommée cria avec inquiétude à l’anarchie et à la dictature en réaction à la fondation des JDS (RSJB 114/1978, p. 531 s.). En tant que
membres des JDS, je pus vivre des réactions similaires dans mon quotidien
professionnel au début de mon activité de juge pénal. Maintenant les temps ont changé et les émotions se sont calmées. Nousvivons actuellement ni en anarchie, ni sous une dictature. C’est pourquoi les craintes exprimées autrefois ont pratiquement disparu. Au contraire, les JDS ont gagné au cours des années en reconnaissance grâce à leur engagement social dans le domaine du droit. Au moins, ils sont maintenant relativement pris au sérieux, dans les cercles de juristes et par les autorités. Cela est illustré par les nombreuses impulsions qu’ils ont données et qui se sont traduites dans des projets législatifs importants. Mais avant tout, on ne peut plus
aujourd’hui imaginer la vie juridique sans la revue ‹ Plaidoyer ›, tant dans la
pratique judiciaire que dans la science juridique. Cette publication s’est en
effet profilée comme un forum incontournable dédié à des thèmes de politique
juridique, où les opinions critiques peuvent se faire entendre.
De tout temps, le droit pénal a été l’un des domaines d’activité centraux
des JDS. Il s’est en effet agi dès le début d’opposer un contre-poids à la surpuissance de l’Etat, en contribuant à faire passer dans la législation – et dans
son application – les libertés garanties par la Constitution. Par conséquent,
l’intérêt central des JDS réside avant tout dans les droits des parties à la procédure.
Concrètement, les JDS ont recherché d’une part à développer les
droits de la défense et d’autre part à renforcer la position des victimes d’infractions
dans le procès.

A cet égard, la situation s’est récemment sensiblement améliorée, notamment dans le domaine de la procédure d’instruction, bien que la législation soit encore bien loin de traduire notre exigence de la présence d’un « avocat de la première heure ». Mais l’octroi de droits d’intervention plus étendus aux parties pendant l’instruction pénale ne doit cependant pas cacher que cette amélioration a été « échangée » contre une certaine perte d’importance de l’audience de jugement (y compris l’établissement
direct des preuves devant le tribunal). On constate actuellement incontestablement
une tendance inquiétante vers un raccourcissement des procès.
Pour le surplus, le droit pénal (matériel) est actuellement à la mode. Il
porte en lui de grandes espérances, devient la panacée pour « régler » les problèmes sociaux et bénéficie d’un capital confiance presque illimité. Il ne reste
donc presque plus de place pour le principe de l’ultima ratio, pourtant fort
vanté. Lorsque pointent de nouveaux conflits sociaux, on en appelle tout de
suite au législateur. Ce point de vue est soutenu par les politiciens, lesquels
peignent le diable sur la muraille, Satan prenant à l’envi la forme du trafic de
drogue international, du crime organisé, de la corruption ou – la nouvelle
mode – du terrorisme. C’est dans ce contexte que le législateur développe une
hyperactivité excitée par le populisme de certains, bien souvent sans examiner
sérieusement auparavant si les dispositions pénales proposées sont vraiment
nécessaires et justes. C’est ainsi que nous sommes confrontés, à une fréquence
de plus en plus élevée, à des stratégies de criminalisation à larges
spectres.

Somme toute, on constate que la législation est en forte expansion
mais revêt simultanément un caractère fortement symbolique d’une inefficacité
frustrante, voire même contre-productive. Parallèlement, la tendance,
dans le procès, est à l’introduction de méthodes d’instruction problématiques
et peu contrôlables. On conçoit aisément que de cette manière, les droits fondamentaux soient légèrement mis en danger, mais cela est pris en compte
manifestement sans scrupules. Or ma longue expérience de juge m’a montré
que ceux qui doivent le subir sont avant tout les cas sociaux et les étrangers.

Au vu de ces nouveaux défis de politique juridique, les JDS doivent continuer
plus que jamais à assumer une fonction importante dans la défense des
personnes socialement défavorisées. Cela dit, dans la situation politique
actuelle, il apparaît difficile de poursuivre le but statutaire mentionné plus
haut. En effet, les chances de réaliser l’objectif – fondamental – de démocratiser
les normes juridiques ne sont pas très favorables, à une époque où la
politique juridique est plutôt superficielle et pragmatique. Un engagement
commun renforcé en faveur d’un Etat de droit libéral est donc d’autant plus
important.

Simultanément, il nous faut peut-être réfléchir une nouvelle fois de façon
tout à fait fondamentale à ce que nous devons comprendre aujourd’hui, dans
un environnement politique qui a beaucoup changé, par « démocratisation
du droit ». A quoi, par exemple, doit ressembler concrètement le droit pénal
(y compris la procédure pénale) « démocratisé » ? Quelles conceptions alternatives
peuvent être opposées à une législation qui menace les libertés ? Personnellement,
j’ai bien quelques idées sur le sujet ; mais en entrant dans les
détails, beaucoup de chose ne m’apparaissent pas encore clairement. Quelles
que soient les réponses : nous aurons, à l’avenir aussi, besoin des impulsions
créatives des JDS ! C’est pourquoi je regarde avec plein d’espoir les prochains
25 ans.